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  • Photo du rédacteurleo22062

Encore une histoire de brioche et de mémoire

Tsoureki en grec, Paska en Serbe, Potica en Slovene, Kulich en Russe et Kozunak en bulgare, voilà les multiples noms que prend la brioche de Pâques dans les différents pays de l'Europe orientale.


Une tradition partagée par des peuples voisins, fabriquée dans l'intimité des familles ou par les industries pour finir dans tous les Lidl des balkans, partagée avec les proches au moment hyper symbolique de la Pâques orthodoxe, cette bonne brioche m'a toujours intriguée.


Si le Kozunak avec sa jolie tresse à trois pâtons parait remonter à la nuit des temps et évoque un peu le halla juif, elle est comme beaucoup de spécialités traditionnelles : le fruit d'une construction culturelle au long cours et l'objet de changements constants. On le sait, la cuisine, d'où qu'elle soit, est le topos privilégié des uchronies, un genre (littéraire mais pourquoi pas culinaire?) qui repose sur le principe de la réécriture de l'Histoire à partir de la modification du passé.


Tradition & rusticité

A Vélingrad, chez les voisines de mon amie Mariya: les Kostianevi, deux jolies jeunes femmes dans leur trentaine, j'en ai eu un avant goût.


Par une matinée relativement douce, les deux soeurs nous accueillent dans une sorte de jardin d'hiver rustique situé au rez de chaussée de la maison familiale.

Placardés au mur les portraits de Vassil Levski et Khristo Bhotev (deux grandes figures révolutionnaires), la faucille-le marteau, le drapeau bulgare, la nappe brodée et la photo en noir et blanc des arrières grand parents.

Je me demande si la déco de la pièce a été préparée pour ma venue. Est ce que tout cela fait vraiment partie de leur quotidien? Je me rends compte que oui. J’en déduis qu’ils font partie de cette frange de la population dont l’amour de la nation, sans doute bien alimenté par les émissions de tv au quotidien, est pour nous européens de l’Ouest, éminemment suspect, voire carrément condamnable.

Allez trouver un français qui affiche un drapeau tricolore en dehors de la coupe du monde de foot (ou du Tour de France)!!

bref…

On sent bien poindre le lien qui sous-tend la représentation de la tradition avec une certaine mythification de la nation glorieuse... Mais passons. Je suis là pour goûter la brioche.


Le décor est planté, et la plus jeune des soeurs, prénommée Mariya comme mon amie, s'apprête à nous montrer sa confection du Kozunak habillée en tenue traditionnelle. Elle est plutôt jolie, l'image d'Épinal fonctionne nickel avec sa fleur dans les cheveux et son petit tablier. La grande soeur, habillée en jogging bien propre nous fait le commentaire des gestes exécutés par sa sœur tandis que Léo, son fils est ravi d'échanger avec moi en anglais.


Corps à corps avec la brioche

Comme je ne parle pas bulgare , je ne peux pas faire une restitution fidèle de la conversation. J'ai juste bien noté que le Kozunak est pris très au sérieux dans les familles pendant les fêtes pascales et que ce qui distingue une vraie bonne brioche d'une brioche d'amateur, c'est quand elle a une allure gonflée, une texture souple et qu'on peut voir les fameuses tresses dans la pâte.

Le grand défi c'est de la faire lever, cette pâte. Pour cela il faut que la pièce où elle repose soit bien chauffée, l'idéal c'est de n'être pas loin de l'antre de la cheminée. A ce sujet Peppa, une autre voisine de la mère de mon amie Mariya raconte que quand sa mère faisait le kozunak, c'était vraiment physique. Elle s'enfermait seule dans la cuisine, transpirante, seulement vêtue de ses sous-vêtements et empoignait ses pâtons à bras le corps avant de les unir en tresse.


Bien-sûr je demande si les soeurs tiennent leur recette d'une aïeule, comme dans les contes de fée rétro, mais non, à vrai dire leurs parents à elles ne faisaient pas le kozunak maison. Ils l'achetaient tout fait dans les épiceries du village.

Nos parents n'étaient pas très portés sur la tradition, mais nous, si! commente Desislava.


Cuisine et promotion nationale


Alors que la cadette parsème la pâte de petits bouts de loukoum à la rose, (petite touche ottomane), l'aînée nous explique qu'elle a étudié le management touristique et que dans son curriculum il y avait des cours de cuisine où la préparation du Kozunak était incontournable. Ce détail n'est pas anodin car dans l'histoire de la Bulgarie communiste, notamment les années fin 70-80, la formalisation d'une cuisine nationale a été un rouage important dans la quête identitaire du pays et a été opérée par Balkantourist l'agence d'état.


*(A lire sur le sujet, l'excellent Communist Gourmet: The Curious Story of Food in the People's Republic of Bulgaria, de Albena Shkodrova).


C'est aussi à cette époque que Lioudmila Jivkova, la fille du dictateur Todor Jivkov a eu l'idée de lancer un an de festivités pour célébrer les 1300 ans de l'Etat bulgare en 1981 et d'inaugurer le fameux Monument des fondateurs de l’Etat bulgare à Choumen. Je n'y étais pas mais j'imagine la débauche de chaussettes brodées et de danses folkloriques qui ont dû être perpétrées à l'époque.


Blague à part, la préparation de ce grand évènement a été un moment important dans l'élaboration d'un patrimoine culinaire bulgare. Nul doute qu'on y a inventé des traditions ancestrales flambant neuves. Prenez la fameuse salade Shopska qu'on déguste à presque tous les repas par exemple. Elle fait tellement partie du menu qu'on imagine que les guerriers Thraces en mangeaient déjà sur leur char. Et bien que nenni, cette salade si typique est un produit total de Balkantourist.

Le Legs du Anthony Bourdain bulgare

Dans cette quête de légitimation nationalisto-folklorique, l'organisme avait mandaté dès la fin des années 70 un dénommé Emil Markov à parcourir le pays de long en large avec un photographe afin de compiler toutes les recettes possibles, de celles des chefs d'hôtels de la Mer Noire à celles des grand-mères des Rodhopes, tout était inventorié et je donnerais cher pour mettre la main sur un exemplaire de “Bulgarian Temptations: 33 Illustrated Culinary Journeys with Recipes” cet envoutant Guide Michelin-Coco publié en 1981.

Bien-sûr la Bulgarie a bien changé depuis les années 80 et pour une jeune femme comme Desislava, les explorations culinaires de Markov ne doivent pas signifier grand chose. Néanmoins la tradition, ça, ça lui parle.

A vrai dire la tradition revient en force chez les jeunes dans beaucoup de régions bulgares, comme un peu partout d'ailleurs.


Le pays du passé

Dans son livre "Le pays du passé", l'excellent Géorgui Gospodinov parle avec tact et humour de la tentation de retour dans un passé glorieux et fantasmé qui point en Bulgarie (et pas seulement, vous verrez, tous les pays de l'UE y passent).

Dans un récit rétro futuriste vraiment croustillant, Gospodinov raconte comment le projet d'une clinique qui propose à ses patients aisés atteints de la maladie d'Elzheimer de les replonger dans un passé confortable dégénère vers un référendum pour le droit au passé et mène à une épidémie passéiste dans toute l'Europe. Chaque pays vote pour retourner dans sa décennie la plus heureuse du XXème siècle.

Le charme des vieilles écuelles

Les bulgares oscillent entre un retour aux débuts révolutionnaires du socialisme ou tout simplement à la source (impossible à localiser) de la Grande Bulgarie.

Cela se traduit par une vague de reconstitution historique dans tout le pays où la population (vêtue de l'habit traditionnel) devient figurante d'une vaste performance qui se confond avec la réalité du présent.

Gospidonov est obligé de parler un minimum de bouffe bien-sûr pour dresser un tableau complet de cette Bulgarie essentialiste et c'est assez drôle, il parle notamment du petit déjeuner proto-bulgare à base de bouillie de millet et de boulgour qui revient en force et de la viande de cheval, estampillée Khan Asparoukh qui se taille une belle part de marché. Il mentionne également l'attitude paradoxale de ceux qui détestent tout ce qui est turc (vieille rancoeur envers le joug ottoman)mais sont fans de la fameuse soupe de tripes işkembe çorbası.


Je me rends compte que mon histoire de brioche a largement digressée! Mais je n'ai pas pu m'empêcher de relier mon passage chez les soeurs Kostanievi à d'autres observations plus générales sur la cuisine et son rôle puissant dans l'affirmation culturelle des pays et des individus, plus ou moins consciente, assumée ou subjective.


Si les Bulgares ne lésinent pas avec le folklore que nous associons facilement à un comportement trop à droite, ne sommes nous pas, nous autres "bobos-foodies" à la recherche de l'authentique et des saveurs oubliées?


Est-ce condamnable ou réactionnaire?


J'imagine que non, si l'on n'en vient pas à trafiquer l'histoire pour imposer une recette plutôt qu'une autre.








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