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Drôle de pain dans la ville métaphysique

Dernière mise à jour : 5 août 2022

Le 23 Juillet, Béatrice les enfants et moi avons pris notre courage à deux mains et avons quitté la langueur de la Spiagga de Lido di Spina pour faire une petite balade culturelle à Ferrara où l'on annonçait de fortes chaleurs.

En effet, quand nous sommes arrivés vers 16:00, le thermomètre de la pharmacie en face du marchand de glace indiquait 44 degrés! Nous n'en avons savouré que davantage le gelato qui fondait à grande vitesse sur nos doigts. Pour ma part j'ai pris une boule de Ricotta-Figue, un délice.

J'avais entendu parler de Ferrara par mon père qui adore cette ville et par Beatrice bien-sûr, qui y a grandi et y a fait ses études d'archi.

Mon père m'avait donné à lire le fameux livre de Bassani, "Le jardin des Finzi-Contini" qui raconte les dernières heures d'une grande famille bourgeoise juive de la ville à l'heure où étaient promulguées les lois antisémites dans l'Italie fasciste. Vittorio De Sica l'a adapté au cinéma également.

Le paternel m'avait aussi donné l'ordre d'aller voir le cimetière hébraïque et de visiter le musée Boldini, le peintre des midinettes de la Belle Époque parisienne. Au final, aplatis de chaleur, nous nous sommes d'abord rués chez La Sorgente del Gelato pour avaler une glace rafraîchissante. Des fois, il faut hiérarchiser les besoins.


Comme dans une composition de De Chirico

Plus tard, nous nous sommes baladés, à pied et en vélo et j'ai pu goûter un peu de ce parfum "métaphysique" qui flotte sur cette ville étrange, presque déserte, qui évoque un décor à mi-chemin entre le "set" d'un film de science-fiction ou au contraire de théâtre italien. En tout cas, on sent à chaque instant une ambiance à la Di Chirico qui, sans surprise, a passé quelques années à Ferrara.



Quand on regarde "La tour rouge" ou "L'Enigme d'un après-midi d'automne", on pourrait croire que c'est l'artiste qui, a dessein, a vidé la ville de ses habitants de chair et d'os pour les remplacer par des statues qui projettent de grandes ombres solitaires sur des places vides. On a l’impression que les éléments d’architecture, tour, galerie, arcades, sont les vrais acteurs d'une dimension parallèle qui nous échappe complètement. Et bien, force est de constater que Ferrara est exactement comme Di Chirico l'a peinte quand nous la visitons en ce jour brûlant de fin juillet. Dans les rues, pas l'ombre d'un balcon qui déborde ou du désordre d'une chemise qui sèche, pas un enfant jouant dans une fontaine.


Pic shot by me (©LeodeB)with Olympus



Au centre de la ville, il y a l’imposant château des Este, la grande famille qui a régné sur la citta du 12ème au 16ème siècle et qui évoque une Kabbah autour de laquelle s'agencent les rues et les palais bien droits.

Ferrara est rentrée dans l’ère moderne très tôt quand on pense à l'urbanisme des villes de l'époque. Fin XVe-début XVIe siècle, un architecte du nom de Biagio Rossetti travaille à une extension de la ville (l’addizione erculea) et intègre la portion médiévale à la ville rationnelle de la Renaissance. De fait, il n’y a pas de sentiment de rupture entre la vieille ville et la ville moderne et les deux pendants sont unifiés dans un tissu commun.


Après les lignes droites, un drôle de pain twisté

Après une longue déambulation dans toute cette harmonie rectiligne et cette proportionnalité géométrique, après avoir longé le long ruban des hauts murs ocres derrière lesquels on imagine des jardins peut-être un peu plus anarchiques nous nous dirigeons vers une boulangerie, et là: surprise, je découvre la chose la moins conventionnelle, la plus twistée qui soit: la coppia, (qui veut dire “couple” en italien); pain sorti du fond des âges en forme de X. En y regardant à plusieurs reprises on peut y voir un bonhomme campé sur ses deux jambes avec les bras en l’air ou encore deux paires de cornes réunies en leur centre par une sorte de petit pubis bombé, c’est selon…

Apparemment ce pain fait complètement partie du quotidien local, tout le monde achète ce drôle de X sans se poser de question. On voit donc des vieilles dames très convenables et des jeunes innocents marcher sans gêne aucune les mains pleines de sachets d'où débordent des cornes de Coppia qui peuvent aussi faire penser à une paire de jambes en l'air. C'est assez cocasse comme vision.

Pour tout vous dire au niveau du goût, je n'ai pas trouvé ça époustouflant. Il s’agit d’un pain plutôt blanc qui sèche vite, c’est donc vraiment la forme et l'histoire de ce pain qui sont intéressants.

On avise la boulangère de la Bottega Del Pane, (un équivalent de Paul) pour en savoir davantage(beaucoup de commerces sont fermés à Ferrare en ce jour, ce qui rajoute à l'ambiance métaphysique) .

Elle nous raconte que l’histoire dit que ce pain est une création du chef cuisinier des Estensi (Este au pluriel) réalisée pour le Duc, époux de Lucrèce Borgia qui n’en était pas à sa première union et traînait derrière elle une réputation pour le moins sulfureuse, voire malsaine.



Cornes de cocu, la bonne recette

Il y a deux versions autour de cette fantaisie panifiée. On dit que le chef l’a fait servir au duc lors d’un banquet (de Carnaval ou alors à ses propres noces?) pour l’avertir qu’il était cocu (d’où la forme des cornes) ou alors tout simplement pour se moquer de lui (car oui, il était bien cocu). Une chose est sûre c’est que l’union d’Alphonse 1er d’Este et de Lucrèce Borgia n’était pas un mariage d'amour, de toute façon ça ne se faisait guère à l'époque. Il s’agissait plutôt du fruit d’une stratégie du frère de Lucrèce, César, pour gagner de l’influence auprès des Este et s’infiltrer dans Ferrare.

Drôle d’offrande donc, que cette coppia qui ne prélude pas vraiment à de jolis sentiments maritaux. Drôle aussi de constater que les histoires de "cocufiage" sont légion dans la grande Histoire, surtout celle des puissants. On les colporte, on les transmet on les déforme comme des ragots bien épicés, ça pimente la vie et fait tourner le commerce. L'italie, la Sicile et la Sardaigne produisent encore nombre de pains aux formes étranges, tous plus ou moins hérités de la liturgie païenne liée aux saisons ou à la liturgie chrétienne qui s'est souvent accommodée des substrats païens. En cela la Coppia est relativement "jeune" par rapport à d'autres pains du monde italique. En tout cas elle semble être née dans un contexte tout à fait profane, voire même un peu trivial. Quand on y pense ce chef boulanger était bien audacieux, ou alors complètement irrévérencieux, va savoir. Quoiqu'il en soit l'historien Antonio Frizzi (mort en 1800) célébrait dans ses écrits le raffinement des boulangers ferrarais dans la fabrication de la Coppia, un pain qui, selon lui a dépassé le concept monotone du pain quotidien associé au labeur.

Pic shot by me (©LeodeB)with Olympus


Plus tard nous avons passé la porte de l'Officina integrale, une boulangerie plus authentique que La Bottega Del Pane tenue par deux véritables artisans, Campanella et Moretti qui parlent avec passion de la Coppia qu'ils travaillent avec soin, depuis la sélection des produits jusqu'à la subtilité du geste de torsion à l'origine de ce pain aux allures de bonhomme vivant.




Campanella et Moretti travaillent avec un mélange de blé ancien de la région le Gentile Rosso, cultivé en agriculture bio, du "sel doux" des salines de Cervia, du levain élevé selon les instructions de Maître Rolando Morandini, le pur saindoux de porc (nécessaire à la réalisation de la vraie coppia) de chez Fratelli Rizzieri basés à Focomorto dans la région et bien-sûr de l'huile d'olive de pure qualité.

Une bouchée à leur coppia et on sent toute la différence avec celle de la Bottega del pane!! Rien à voir! On a l'impression de passer d'un cracker sec et chétif à une pâte gourmande et moelleuse.

Là, on est pris d'une furieuse envie de prélever un bout de cette corne et de la tremper dans une sauce de pomodori fraîche ou encore de lui faire un pagne avec une tranche de mortadelle bien fine...hhhhmmm...Ensuite c'est toute la magie de l'association d'idées qui opère, et on pense à l'apéritivo qui va clore cette journée caniculaire. Un verre de vin blanc frais et une coppia, que demander de plus...

Pour déguster la meilleure Coppia, allez chez Officina Integrale

Piazzale S. Giovanni, 51-53, 44123 Ferrara FE, Italy.





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