top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurleo22062

Esthétisation du rural Vs Réalité agroalimentaire

Dernière mise à jour : 4 juin 2022

Lire le monde au Relay de la gare


Cette semaine j'ai pris le train et comme à mon habitude j'ai acheté des revues à la maison de la presse de la gare. C'est un rituel que j'ai. Des fois j'achète la presse féminine, des fois des suppléments de la presse artistique. En tout cas à chaque fois je ne manque pas d'observer les titres mis en avant car je trouve que c'est toujours un excellent reflet du "zeitgest" du moment.


En Avril 2022 le zeitgest est clairement l'expression de l'angoisse liée aux élections présidentielles et à la guerre en Ukraine. On a l'impression que l'ère contemporaine est un Replay du siècle dernier avec ses pôles ennemis et ses dictateurs, la technologie en plus.


Mais je ne me suis pas vraiment arrêté sur les dossiers à chaud, je n'ai pris ni le Monde , ni l'Obs ni Le Courrier International, mes yeux se sont à vrai dire posés sur une micro-niche dans les rayons, sans libellé clair mais que j'ai interprété comme un espace dédié aux publications néo Rousseau-istes qui prônent un retour à la nature, au bien vivre et au bien manger sur des supports joliment désignés et imprimés.


Des publications néo Rousseau-istes


Le plus joli, c'est Regain, qui "célèbre le progrès agricole, la nouvelle génération paysanne, les métiers de la ferme, la vie animale, la bonne chère, les balades en campagne et les feux de cheminée."

La revue présente les nouvelles têtes du néo ruralisme, des viticulteurs inspirés, de jeunes chefs, crâmés par la vie parisienne en quête d'un nouveau départ, plus sain, des agriculteurs scrupuleux, des éleveurs de poules épanouis, des aubergistes tatoués, des maraichers entourés de légumes magnifiques comme dans des natures mortes. Mise en page aérée, beaux travaux photographiques, la lumière naturelle tombe sur le visage paisible d'hommes et de femmes qui ont foi en ce qu'ils font, en la vie qu'ils mènent loin des villes. Du vin dans le Luberon, sans cuve ni pressoir, des fourches façonnées selon des méthodes ancestrales, des paysages à couper le souffle dans le Cantal, le Périgord...Ça donne vraiment envie de tout plaquer et de chopper une maison en schiste dans les Cévennes!


Dans une ère post pandémique où la ville a perdu beaucoup de sa fonction de générateur social et où tout le monde s'est rendu compte que plus de la moitié des jobs pouvaient se faire à distance, la vie au grand air, loin de la densité des villes, est de plus en plus attrayante et c'est donc bien normal que de nouveaux médias se fassent les ambassadeurs de ces modes de vie qui bénéficient tout à coup d'une visibilité inédite. C'est vrai quoi, jusqu'à il y a peu, on se foutait pas mal des éleveurs de poules, mais maintenant on a une nouvelle conscience du rôle des gens qui nous nourrissent et on préfère penser que ce sont de belles personnes respectueuses que des mecs en combi blanche qui bossent pour de gros groupes agro alimentaires....





Enfin... Ça m'a fait plaisir de feuilleter Regain dans le train qui me ramenait à Paris. Ces jolis reportages au coeur des terroirs satisfont mon plaisir scopique de bobo (car j'en suis une, inutile de le nier, j'aime les pulls en laine et l'agneau du pré salé)...


Eloge de la ferme


Plus tard, j'ai découvert une publication de chez Gestalten qui a dû sûrement inspirer la rédaction de Regain, "Farm life, from farm to table and new country culture". La couverture du livre fait un clin d'oeil à la célèbre toile de Grant Wood, le portrait frontal de ces deux paysans du Midwest à la mine sévère posant devant une maisonnette néo gothique en bois.


L'homme tient une fourche et n'a pas l'air très épanoui. Il faut dire que la toile a été peinte un an après le krach boursier de 1929 et que la grande partie des américains crevaient la dalle, surtout dans les zones rurales. C'est ça que le peintre, en rupture avec la clique moderniste New Yorkaise, voulait donner à voir.


Il est interessant de voir que presqu'un siècle après la création de ce tableau, les néo-ruraux le prennent en référence mais en y instillant un sens renouvelé, celui d'un retour souhaité à la campagne et à la ferme, d'un engagement pour une production et une consommation plus raisonnée. Ces deux images illustrent la volonté de montrer l'agriculture non plus comme une tâche grossière et déclassée qui consiste à nourrir la populace mais comme un privilège, celui de nourrir le monde sainement et "en conscience". D'ailleurs la jeune femme de Farmlife, à la différence de celle du portrait de Wood qui semble porter tout le poids du monde sur ses épaules a l'air déterminé, prête à faire face à son avenir.


















En revanche, ni les reportages de Regain ni les beaux portraits de Farm life ne rendent vraiment compte d'autres réalités de la vie au grand air, à savoir la dépendance importante à la voiture, le temps, les distances, les hivers à rallonge, l'ennui aussi parfois...


Retour sur l'asphalte parisienne, pénurie d'huile de tournesol


En sortant de la gare j'ai humé l'air saturé d'odeur de pisse et j'ai su que j'étais de retour dans la ville.

Puis je suis allée au supermarché et j'ai constaté que le rayon Huile de tournesol était complètement vide.


J'ai demandé ce qui se passait à un responsable qui m'a appris qu'avec la guerre en Ukraine, les gens s'étaient jetés sur l'huile car on craignait une pénurie. (Tiens, c'est drôle, la dernière fois qu'un produit a été pris d'assaut ces deux dernières années, c'était le PQ, dont on craignait une pénurie pendant la pandémie... ).


En effet, l'Ukraine est un véritable grenier en Europe. D'ailleurs, la plupart des images de propagande qui faisaient l'apologie des récoltes merveilleuses du temps de l'URSS représentent pour beaucoup les grandes plaines céréalières du pays qui produit du blé, du maïs, de l'huile de tournesol, du soja et de l'orge, mais aussi volailles et œufs; aujourd'hui sorti de la gangue de l'Union, l'agriculture est même le symbole du drapeau national , le jaune représentant un champ de blé et le bleu le ciel. Une richesse qui est en train de coûter cher au pays...


Si la France est aussi une grosse productrice de blé, les pays du Maghreb et du Moyen Orient ont fort à craindre de cette pénurie qui déjà fait sentir ses effets.


En regardant les rayons vides du Supermarché j'ai pensé tout à coup à la réalité de la production agro-alimentaire. Aux milliers de tonnes de céréales qui sont nécessaires à nourrir la planète aujourd'hui et demain. C'est vertigineux et moins romantique que les micro-exploitations et ces portraits personnalisés mis en scène dans Regain. Produire ou nourrir? Les deux sont nécessaires.





21 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page