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Le food porn irrésistible de Tom Wesselmann

Photo du rédacteur: leo22062leo22062

Il y a quelque chose de très agaçant dans le Pop Art. Lisse, clinquant, atrocement parfait, il n'est que séduction. Et, évidemment, le regardeur tombe toujours dans le panneau.


Le grand banquet pop à la Fondation Louis Vuitton

J'ai visité l'expo "Pop Forever" à la Fondation Louis Vuitton il y a quelque temps, et j'avais l'impression d'être une enfant dans une birthday party américaine, shootée au sucre et à l'adrénaline. J'ai beau me targuer de préférer Pennone, je ne suis pas immunisée contre l'effet pop, d'autant moins devant les oeuvres XXL de Tom Wesselmann qui opèrent comme les champignons géants de Alice au pays des Merveilles.

De fait, l'expo est une ode à la macropsie (quand les objets apparaissent plus gros qu'ils ne le sont) et à la pélopsie (quand les objets apparaissent plus près qu'ils ne le sont), une bulle irréelle et merveilleuse dans laquelle on régresse avec plaisir.


Comme ce blog traite de la nourriture et de sa représentation, je vais donc me concentrer sur les gigantesques natures mortes de Wesselmann et passer sur les grands nus, son autre obsession qui malgré tout ne sont pas sans résonance avec ses compositions alimentaires. Il y a en effet un même effet d'étalage de marchandise dans les deux, mais passons, donc.


Tom Wesselmann – Grand nu n°27 (1963)
Tom Wesselmann – Grand nu n°27 (1963)

L'aliment et son double

La nourriture ou du moins son simulacre occupe largement l'espace dans l'œuvre de Wesselmann. Beefsteak rouge vif, pain de mie bien blanc, soda, milkshake crémeux, épis de maïs dorés, fruits et légumes colorés mais aussi canned food et soda estampillés de leurs marques respectives, nous sommes dans l'univers de la production/ consommation, un registre où la présentation et le packaging sont autant, voire plus importants que l'aliment en soi. C'est ce que Magalie Martin nomme la peau industrielle des aliments dans son mémoire Manger des images : entre le voir et le manger. Art et histoire de l'art. 2015.


Tom Wesselmann nature morte #30, 1963
Tom Wesselmann nature morte #30, 1963

Séduction optique

C'est ça le pop art, non ? Prélever dans la société marchande des images iconiques, immédiatement reconnaissables; réutiliser le langage visuel simple et percutant des messages publicitaires et ainsi actionner la mécanique de l'oeil désirant.

Séduisez l'oeil et vous déclenchez sans mal une action!


Dans les supermarchés qui sont des "galeries" qui ne s'embarrassent pas de discours théoriques pour justifier la présence dans leurs rayons d'un produit ou d'un autre, l'action c'est l'achat.

Dans les galeries d'art qui elles, justifient la présence de chaque oeuvre par un discours censé leur conférer une dimension ontologique, l'action est aussi l'achat (si on a les sous).

Et dans les musées et fondations privées où les oeuvres ne sont pas à vendre, on regarde l'expo et souvent on court à la boutique acheter un produit dérivé car les musées et autres temples privés de l'art savent très bien jouer de nos pulsions fétichistes.

Dans tous les cas, c'est toujours notre oeil qui est sollicité et stimulé!

Quand on y pense, c'est fou à quel point l'humanité a investi la vision au détriment des autres sens et à l'ère digitale nous sommes d'autant plus dans le règne de l'hyper-scopique.


Pop Art & marketing, même recette

Pour en revenir aux tableaux de Wesselmann, techniquement, c'est parfait, la virtuosité du peintre à reproduire la production alimentaire de la société de l'abondance est indéniable. Tout est magnifié, habillé, esthétisé. Rien n'est brut. Tout est, en somme, le produit d'une civilisation qui a mis la faim, la misère, la disette à distance. Habitants du deuxième millénaire, ces images nous magnétisent, elles correspondent tellement à cet espace-temps du "c'était mieux avant".


L'époque de l'émergence du "Pop Art" est d'ailleurs concomitante à l'âge d'or du marketing de masse et inclue les fameuses Trente Glorieuses avec leur kaleidoscope d'images voués à la consommation diffusées à travers une myriade de canaux : billboards, tracts, catalogue, posters, TV , Hollywood!...

C'est bien une époque où les objets ont commencé à enfler, grossir, grandir, comme les fameux champignons d'Alice pour occuper tout le cadre du film Technicolor qu'était la vie des consommateurs américains et européens (le bloc Ouest donc), dans ces années de bombance. Les grands formats de Wesselmann, inspirés des billboards placés le long des routes pour être vus de loin par les automobilistes, nous le rappellent parfaitement. Regardez ce sandwich géant!

Vue de l'exposition à la Fondation Louis Vuitton
Vue de l'exposition à la Fondation Louis Vuitton

Perfect & fake

En puisant dans les images de la société de consommation et en les redistribuant via le format classique et bien connu du tableau ou de l'affiche, les pop artistes américains des années 60 disaient vouloir rapprocher l'art de la vie.

Si la vie se résume à la créativité de l'industrie agro alimentaire (mais aussi automobile, télécom, et aéro spatiale) alors oui, le Pop Art nous rapproche de la vie, mais en réalité il nous rapproche surtout du commerce vêtu de ses plus beaux atours.

Il ne s'agit pas de juger: les hommes et les femmes ont toujours commercé et ont toujours oeuvré à embellir les marchandises. Ce culte ne date pas d'hier, relisez Au bonheur des Dames par exemple.


La Face B des jolies choses

Mais au XXIème siècle, la beauté des produits, leurs couleurs insolentes, leur perfection formelle sont devenues questionnable ... Nous sommes moins dupes, en effet, nous savons que les pommes laquées imputrescibles cachent une cosmétique malsaine et le regardeur réflectif, celui qui questionne les apparences, sait que l'image de la pomme générée par le corps industriel ne nous montre pas l'aliment mais un leurre.

Dans ce contexte, les toiles géantes et hyper réelles de Wesselmann ne soulignent-elles pas justement, la distance entre le regardeur/mangeur/ consommateur et la nourriture, la vraie, le produit de l'agriculture et de l'élevage, de la terre et du sang?

Tom Wesselmann (1931-2004), Still Life no 35, 1963, huile et collage sur toile, 304,8 x 487,6 cm, New York.
Tom Wesselmann (1931-2004), Still Life no 35, 1963, huile et collage sur toile, 304,8 x 487,6 cm, New York.

Fascination du quotidien

Une chose est sûre, c'est que le Pop Art plait, encore et encore. D'où le nom de l'expo à la Fondation LV, Pop Forever.

Et pourquoi?

Parce que les sujets représentés nous semblent proches, que les images sur lesquelles repose le système mercantile mondial sont devenues presque inextricables de notre conscience du quotidien, elles en sont même la toile de fond.

Le quotidien, parce que nous en faisons partie nous parait tangible, alors qu'en fait il est truffé d'artifices et de contre-façons et le Pop Art est selon moi l'apogée de cette dissonance dans laquelle nous vivons.

Malgré tout je suis sensible à ses couleurs et à ses formes et j'ai même un dessous de plat en forme de banane jaune très Warholesque que j'ai acheté à la boutique de Pompidou!


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