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Le Printemps & Pâques

Dernière mise à jour : 4 juin 2022

Je ne suis pas une vraie chrétienne, mais j'aime Pâques, beaucoup plus que Noël qui me déprime profondément. Je crois que c'est tout simplement une affaire de saison. Noël en France, c'est l'hiver, c'est sombre et lourd, ça sent le manque de Vitamine D et les repas trop riches .


Ça sent la pléonéxie infantile aussi. J'adore ce terme, pléonexie: vouloir plus que sa part, ça décrit tellement bien les premiers moments de l'enfance et bizarrement aussi certains fondements du capitalisme.


Alors que Pâques, c'est le printemps, les déjeuners bucoliques, le retour de la lumière et de toute cette symbolique que peut saisir, je pense, n'importe quel être vivant quand les jours rallongent enfin. Il n'y a rien, selon moi, de plus évident, clair et violent que le retour du printemps. Ce n'est pas pour rien que nombre d'artistes lui ont consacré des œuvres. Pensons à Stravinski et son Sacre du printemps qui sonne comme une déflagration violente aux oreilles, une explosion de fluides soudain dégagés du permafrost!!



Pensons aux peintres qui s'en sont donnés à cœur joie pour faire fuser les pigments sur leur toile (et au passage dénuder quelques corps).

Arthur F. Mathews, Spring Dance, ca. 1917, Smithsonian American Art Museum.

Couleurs printanières

D'un point de vue chromatique, le printemps ressemble à une explosion de couleurs, c'est la saison où même les mornes paysages franciliens se transforment tout à coup en tableau impressionniste, où la banlieue la plus glauque de Seine-et-Marne devient belle, encerclée du jaune violent des champs de colza.


Du côté des fleurs, c'est un moment d'exhibitionnisme intense. Dans les bacs en plastique des fleuristes parisiens, il y a le mimosa, jaune lui aussi et poudreux ; Et en forêt, les narcisses, les jonquilles sauvages, les crocus, les myosotis, que sais-je encore ! Toutes ces fleurs sont là, corolles ouvertes et pistils déployés. Dans un faux silence, elles attendent de se faire polliniser tandis que les mammifères des bois et des villes s'appellent à l'amour dans un vacarme assumé.

Carnaval hormonal


Ici, l'agenda de la nature coïncide avec celui des hommes et des femmes. La lumière favorise la sécrétion de mélatonine, sérotonine et dopamine, les hormones du bonheur et tandis que les gens sortent de leur grotte, les jupes raccourcissent… Autrefois, toute cette émulation culminait pendant les festivités du carnaval; d'ailleurs je vous conseille de revoir les premières scènes d' Amarcord de Fellini,c'est très explicite!


Après le temps de Carnaval suivait un autre temps, celui du Carême. Un temps de jeûne et d'abstinence de quarante jours qui précède la semaine sainte que les bons chrétiens observent pour se rappeler du temps passé par Jésus dans le désert à lutter contre le diable.




Carême, mi-Carême, jeûne et compagnie


Aujourd'hui, dans les pays laïcs et développés, nous sommes si loin de cela... D'un point de vue alimentaire, tout est accessible tout au long de l'année et l'on ne connait plus vraiment de privations tant pratiques que symboliques. En France, il faut vraiment être catholique pratiquant ou Alsacien, ou élève dans une école religieuse pour expérimenter le Carême et encore, sous une forme relativement douce, celle d'un plat de poisson blanc servi le vendredi à la cantine. Y'a pas mort d'homme, quand même ! Rien de comparable au jeûne que suivent les musulmans pendant le Ramadan.

D'autant plus que les Français, moins rigoureux que leurs voisins italiens ou espagnols ont trouvé dès le Moyen Âge une feinte pour faire une petite pause dans le jeûne : la Mi Carême, qui donne l'occasion de refaire carnaval 2 semaines seulement après celui de Mardi-Gras. Les festivités de la Mi-Carême étaient largement menées par et pour les femmes (notamment à Paris où c'était la fête tutélaire des blanchisseuses jusqu'au début du XXème siècle) et était un moment choisi pour se gaver de bugnes et de crêpes avant que la date de péremption des œufs ne soient définitivement passée. Sur les photos du début du 20ᵉ on peut admirer une foule en liesse et des chars merveilleux où se pavanent des reines d'un jour dans de belles toilettes hissées sur des trônes fleuris dédiés au printemps !


Mais halte là, je ne vais pas me lancer dans une thèse carnaval qui mériterait bien un papier à part entière. D'autant plus que le carnaval de Paris est largement tombé en désuétude tout au long du 20ème siècle. Il faut dire que la ville ne manque pas de festivités et que les femmes ont largement élargi leur territoire de bamboche. Manifs féministes ou purement politiques, Gay-pride etc... Au 21è siècle, la société se purge d'elle-même et n'a pas besoin d'un calendrier pour lui rappeler quand le faire.


Laïcité et cure de détox


Si le temps liturgique ne rythme plus nos vies comme au temps de nos aïeux, on observe tout de même dans les pratiques liées au bien-être ou même chez ceux qui sont à l'écoute de leur corps et de ses biorythmes une tendance à le détoxifier précisément à cette période de l'année, comme une rémanence inconsciente de ce temps de dépouillement. Certains vont donc profiter de ce moment pour purger le corps des toxines accumulées pendant l'hiver (cure de jus de bouleau par exemple) et mieux accueillir la saison chaude tandis que d'autres (les disciples inconscients de Bacchus et de Priape) ouvriront sans plus attendre la saison de l'apéro. C'est drôle, ces deux clans me rappellent les villageois dans la célèbre toile de Brueghel (Le Combat de Carnaval et Carême) à savoir ceux qui font la farandole derrière l'aubergiste bien replet et ceux qui composent le cortège d'un carême maigre et blême.


Mais bon, parlons peu, parlons bien, parlons bouffe.


Dans le monde globalisé dans lequel nous vivons, qui plus est à Paris, ville monde où l'on peut célébrer Ganesh et Halloween, où l'accès à la diversité alimentaire s'apparente à une forme de polyglossie, Pâques est une occasion comme une autre de manger de bonnes choses sans s'encombrer d'en ingérer les origines et le contexte.

Dans les supermarchés, avant postes des tendances culturelles et sociétales, on constate dès le mois de Mars que Pâques a été pris en main par Nestlé, Lindt et tant d'autres. Chez les chocolatiers étoilés, on atteint des cimes de raffinement dans la confection de lapins, cocottes et autres cloches, autant d'animaux et d'objets dont on croque les formes sans savourer le sens.

Loin de moi l'idée de vouloir à tout prix revenir au pain et à l'eau du Carême et de forcer tout le monde à visualiser le Christ gémissant sur la croix au moment de savourer un agneau de sept heures, mais je trouve qu'il n'y a pas de mal à connaître les symboles qu'on consomme. Et cela vaut pour Noël, Halloween, la chandeleur, et toutes ces fêtes qui ne sont aujourd'hui pour la plupart que des moments de consommation.


A Pâques on mange des symboles


Pour en revenir au cas précis de Pâques, c'est un moment fort de la liturgie païenne et chrétienne, la dernière s'étant largement superposée à l'autre en substituant la résurrection du christ à l'énergie sans doute un peu trop hormonale du retour du printemps.

Dans l'excellent livre recommandé par mon amie Marianne Maric "Le diable sucré, gâteaux, cannibalisme, mort et fécondité" de l'ethnologue Christine Armengaud qui explore l'héritage symbolique, il est question des gâteaux en pâte à pain et brioche que l'on confectionnait dans différentes régions du monde au moment de Pâques.

Elle explique notamment comment l'Eglise a dû composer avec le substrat païen présent dans bien des campagnes, par exemple avec l'exemple des cornues du limousin (on trouve les mêmes en Charente, les cornuelles, et plein d'autres encore partout en Europe) brioche à trois cornes qui renvoie très visiblement au sexe masculin et aux anciens rites païens de la fertilité et de la fécondité dans laquelle l'église a préféré voir le symbole de la Sainte Trinité...


C'est drôle, quand on y pense. Le menu pascal, qu'on le considère comme un assemblage de résurgences païennes plus ou moins maquillées ou de signes chrétiens appelant à la morale, est un moment fort où, plus que de la nourriture, on ingère des symboles.


L'agneau, symbole du sacrifice du Christ, est de loin le plus mignon, le plus pur, le plus nimbé de probité. En Alsace, il y a des gâteaux célèbres à son effigie, les Lamelle, c'est très kawaii, et en gigot, il est très mignon aussi.


L'œuf, symbole de vie et d'infini. ("comme la graine, il contient le germe vital, le conserve et le recrée")Armengaud p.34.


La version sucrée de l'œuf est relativement récente finalement, elle date du 19ème siècle; cela a à voir avec l'épopée trans-géographique du chocolat, bien sûr. Entre le moment où Hernan Cortez "kidnappait" la fève de Cacao aux aztèques et le moment où le chocolat est devenu un produit largement utilisé par les pâtissiers, il a fallu trois siècles. Avant cela, l'œuf était peint de rouge ou d'autres couleurs vives, enchâssé dans des pains tressés dans toute l'Europe du Sud et les Balkans.

Aussi doux que l'agneau, si ce n'est plus, le lapin n'en reste pas moins un symbole de fécondité depuis les temps anciens chez les peuples anglo-saxons.


L'iconographie du début du 20ème siècle nous le montre souvent habillé comme un vrai gentleman-farmer ou mieux encore, représente la femelle-lapin vêtue de jupes longues et les oreilles couvertes d'un fichu bien sage.

Comme souvent on use d'anthropomorphisme pour aplanir le côté sauvage de l'animal. Un anthropomorphisme d'homme civilisé, distancié de ses pulsions de lièvre fou. Mais nous ne sommes pas dupe, non? lapin=sexe=vie=printemps! Et d'ailleurs je vais conclure sur ces bons mots! Ce post est beaucoup trop long!




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