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  • Photo du rédacteurleo22062

Le ventre de Paris

Aujourd'hui en arrivant chez Jivamukti (un des studios où je pratique le yoga), je remarque que Kelcie qui est Sud-Africaine lit "Le Ventre de Paris" d'Emile Zola en français. Je suis à la fois admirative (parce que c'est quand même dense pour quelqu'un dont le français n'est pas la langue native) et surprise car je me suis justement mise à relire des passages du livre récemment, notamment après une visite au Petit Palais où j'ai observé attentivement la grande toile (4, 60 mètres de large tout de même) de Léon Lhermitte (1848-1925) intitulée Les Halles.


Sacré Baltard

Gagnant du concours lancé par la ville pour réhabiliter les anciennes halles centrales jugées non-hygiéniques, Baltard conçoit 12 pavillons de fer, fonte et verre dont la construction débute en 1852. Gigantesque marché, le plus important marché au gros de Paris même, cet énorme ensemble est le topos central du roman de Zola paru en 1873.

Lhermitte, peintre naturaliste

Lhermitte est un naturaliste qui ausculte la vie paysanne et urbaine, le quotidien du peuple, des ouvriers, des petits métiers, le pendant de Zola en peintre pourrait on dire. Avec Les Halles, il répond en 1889 à la commande de la ville de Paris pour re-décorer le palais de l'hôtel de Ville après l'incendie de la commune. Ce tableau est pour moi la meilleure illustration du roman de Zola que Lhermitte avait lu, d'ailleurs. Je ne sais pas si les deux hommes se sont fréquentés mais ils partageaient des sujets communs d'où la correspondance, textuelle et l'oeuvre picturale des deux créateurs que j'ajoute ci dessous.



Chapitre 1


Le protagoniste, Florent, un ancien bagnard, revient de Cayenne avec la peau sur les os, pas mal de peur et de haine. Quand il arrive aux Halles à l'aube alors qu'il crève de faim et qu'il assiste à tout ce déploiement de marchandises il est littéralement submergé. Ci dessous la description du déchargement des légumes qui colle vraiment bien à la toile de Lhermitte. Je n'ai pas mis le passage sur les viandes mais je vous laisse imaginer le talent de Zola pour décrire le camaïeu des chairs...


...le jour se levant sur les légumes.

C'était une mer. Elle s'étendait de la pointe Saint-Eustache à la rue des Halles, entre les deux groupes de pavillons. Et, aux deux bouts, dans les deux carrefours, le flot grandissait encore, les légumes submergeaient les pavés. Le jour se levait lentement, d'un gris très doux, lavant toutes choses d'une teinte claire d'aquarelle.

Ces tas moutonnants comme des flots pressés, ce fleuve de verdure qui semblait couler dans l'encaissement de la chaussée, pareil à la débâcle des pluies d'automne, prenaient des ombres délicates et perlées, des violets attendris, des roses teintés de lait, des verts noyés dans des jaunes, toutes les pâleurs qui font du ciel une soie changeante au lever du soleil ; et, à mesure que l'incendie du matin montait en jets de flammes au fond de la rue Rambuteau, les légumes s'éveillaient davantage, sortaient du grand bleuissement traînant à terre.

Les salades, les laitues, les scaroles, les chicorées, ouvertes et grasses encore de terreau, montraient leurs cœurs éclatants ; les paquets d'épinards, les paquets d'oseille, les bouquets d'artichauts, les entassements de haricots et de pois, les empilements de romaines, liées d'un brin de paille, chantaient toute la gamme du vert, de la laque verte des cosses au gros vert des feuilles; gamme soutenue qui allait en se mourant, jusqu'aux panachures des pieds de céleris et des bottes de poireaux. Mais les notes aiguës, ce qui chantait plus haut, c'étaient toujours les taches vives des carottes, les taches pures des navets, semées en quantité prodigieuse le long du marché, l'éclairant du bariolage de leurs deux couleurs.



Au carrefour de la rue des Halles, les choux faisaient des montagnes; les énormes choux blancs, serrés et durs comme des boulets de métal pâle; les choux frisés, dont les grandes feuilles ressemblaient à des vasques de bronze; les choux rouges, que l'aube changeait en des floraisons superbes, lie-de-vin, avec des meurtrissures de carmin et de pourpre sombre.

À l'autre bout, au carrefour de la pointe Saint-Eustache, l'ouverture de la rue Rambuteau était barrée par une barricade de potirons orangés, sur deux rangs, s'étalant, élargissant leurs ventres. Et le vernis mordoré d'un panier d'oignons, le rouge saignant d'un tas de tomates, l'effacement jaunâtre d'un lot de concombres, le violet sombre d'une grappe d'aubergines, çà et là, s'allumaient; pendant que de gros radis noirs, rangés en nappes de deuil, laissaient encore quelques trous de ténèbres au milieu des joies vibrantes du réveil."


/// Dans ce passage, on a l'impression que Zola dresse un cahier des charges pour les peintres. Il énonce avec soin toute la gamme de couleurs des légumes du marché. C'est incroyablement détaillé et précis. Je ne me lasse pas de le lire. ///


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