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Les gâteaux du Ramadan et le couscous du cimetière

Dernière mise à jour : 12 oct. 2022

J'ai toujours été intriguée par le Ramadan et admirative de mes potes musulmans qui l'observent d'une manière stricte.

J'en ai souvent discuté avec mon amie Ahlem qui est tunisienne et qui fait tous les ans le ramadan sans se poser de question. Pendant un mois elle se plie à la règle et ne fait pas tout un patacaisse discursif comme moi quand je parle du jeûne thérapeutique d’une semaine que j’ai fait en Thaïlande il y a quelques années. Tout simplement parce que le Ramadan est une coutume, un rituel porté par une communauté toute entière, une tradition que l’on ne questionne pas.


Passer le Ramadan au Bled

Cette année (2022), elle était en Tunisie pour le Ramadan. Elle m'a raconté un peu comment ça s’est passé pour elle, ce mois de jeûne entourée des parents, des tantes, des oncles et des cousins.


“Au bled, tout le monde fait le Ramadan et vit selon ce rythme, il y a moins de tentations qu’à Paris. Moi je me lève super tôt le matin, je fais à manger avec ma mère, mes tantes. Tous les jours, tous les jours, je suis en cuisine.

Ensuite vers 5 heures de l'après-midi, j’aime bien prendre ma voiture et aller au bled (le bled, c’est le centre ville). C’est la fin de l’après-midi, la lumière du jour commence à décliner, on s’approche de la fin de la journée de jeûne. Dans la rue, il y a de la bouffe partout, et toi tu as faim, alors tu achètes! tout! compulsivement! en attendant de pouvoir manger ça en famille”.


Débauche de sucre

Quand Ahlem me parle de ça, je visualise immédiatement les pyramides de gâteaux qu’on trouve le long de la rue du Faubourg du Temple ou dans toute la Goutte D’Or pendant le Ramadan. C’est l’abondance! Un déluge de formes et de couleurs qui m’a toujours séduite. J’adore le vert tendre de la pistache, le rose clair de la pâte d’amande, l’aspect laqué que donne le miel aux carrés, aux losanges, aux triangles que forment les makrouds et les baklava. Les petits blocs granuleux des Bradj et la fabuleuse Zlabia qui évoque un labyrinthe de sucre et de miel orangé. A vrai dire, l’aspect visuel de ces lourdes pâtisseries l’emporte souvent sur le goût. Pour de vrai, c’est vraiment trop sucré! Quand on croque dans une zlabia on a l’impression qu’on va y laisser une dent.



Jeûne & Bombance en alternance

Ce qui est drôle c’est que le Ramadan est un mois sacré qui à l’origine est aussi un mois d’ascèse, alors que de nos jours paradoxalement, la nourriture y est omniprésente, accaparante même. Préparés pendant de longues heures dans l’intérieur des foyers ou exposés sur des tables à l'extérieur des boutiques au vu de tous les jeûneurs, les pains, les gâteaux, les galettes évoquent les tentations du supplice de Tantale, qui puni par Zeus, voyait la nourriture se transformer en pierre à chaque fois qu’il s’en approchait.


“Oui, c’est pour ça que je vais faire les courses en fin d’après-midi, parce qu’on y est presque, la journée est bientôt finie, alors ça passe de regarder tout ça… Et puis le Ramadan c’est aussi un moment où il faut être fort dans sa tête, un mois où il faut se contrôler, ne pas se mettre en colère, alors que souvent on est sur les nerfs à cause de la faim!! C’est un mois d'ascèse et de pardon.

Au niveau physiologique, les premiers jours, je ne peux pas dire que c’est facile, mais après le corps s’habitue. C’est fou la force du mental sur le corps! Au bout de quelques jours, ça passe tout seul. Et d’ailleurs avant la célébration du petit Aid, on parle de tout ce qu’on va manger à la rupture du jeûne, on fantasme à mort sur des menus, des brunchs, des bons plats et puis quand vient le moment de manger on n’y arrive pas. L’estomac s’est un peu rétréci et puis on a un peu mauvaise conscience, comme si on enfreignait la règle, haha.”


Ahlem est originaire de Zarzis, pas loin de Djerba. Là-bas , pendant le Ramadan tout le monde est astreint à la même règle, au même code et ça crée une régularité et une cohésion très forte entre les familles, les voisins.


“Tous les jours c’est pareil. On se lève très tôt. Les femmes sont en cuisine. Vers 17:00 je vais au bled. Je rentre pour la prière et le dîner. A ce moment-là , y’a personne dans les rues. Pas un chat, pas une voiture. Tout le monde est chez soi. L’appel à la prière résonne depuis la mosquée jusque dans la télé. Après la prière on mange, Brick avec du citron (obligé! sinon je ne mange pas ma brick) et de la harissa, la bonne, la vraie, la tunisienne, de la chorba, une salade mechouia, puis un autre plat, souvent des macaronis hyper épicés. C'est le repas de base.

On est tous réunis autour des plats et du programme télé! J’avoue, pendant le Ramadan on dîne devant la télé… Ça fait partie du truc. Après l’appel à la prière il y a une série un peu drôle puis les infos, puis une série un peu à l’eau de rose qu’on regarde tous en Tunisie, au Maroc, en Algérie en Egypte. Un truc un peu à la Casa Del Papel avec une histoire d’amour. C’est à ce moment qu’on sert le thé et les gâteaux. Pour de vrai on en mange pas tant mais ils doivent être sur la table, même si on les mange pas. C’est aussi important que les bricks et la Chorba.

Et après la fin de la série, chacun vaque à ses activités, on va chez les uns et les autres, chez les cousins, les voisins, et d’ailleurs les cousins sont souvent les voisins, haha!”


C’est marrant, cette alternance de jeûne et de bombance. Ce va et vient entre des états différents, de moments de mise au défi avec soi-même puis de partage avec les autres membres de la famille. En tout cas la vie pendant le mois sacré est extrêmement cadrée.


Ramadan dans le 9-3

Ahlem me confie aussi que parfois l'ambiance de sa cité dans le 9-3 lui manque quand elle passe tout le Ramadan au bled.


"Chez moi à Sevran pendant le Ramadan il y a un marché où toutes les communautés vendent leur spécialités. Les turcs font de la soupe à la lentille, les marocains des batbouts, les africains du Thiep etc... c'est trop bon et il y a une super ambiance. C'est l'avantage de la banlieue parisienne, c'est super multiculturel alors on trouve de tout. En Tunisie des fois je sature des bricks, de la Chorba et des gâteaux!! Je mangerais bien des Nems au poulet et un Tiramisu , ahahaha!"


En effet, on peut imaginer une certaine lassitude à force de manger les mêmes choses et de reproduire tous les jours les mêmes gestes. Pourtant il y a un moment pas comme les autres qui vient rompre avec la monotonie sacrée du Ramadan pour certaines familles dont celle d'Ahlem fait partie.


Couscous au cimetière pour la nuit du Destin


Au moment de la Nuit du Destin qui commémore la révélation de Mahomet dans le désert et qui se situe dans les derniers dix jours du mois (calendrier lunaire oblige cela peut être entre le 23ème et le 29ème jour), la famille d'Ahlem a une coutume pour le moins singulière.


"Le soir de la nuit du destin, avec la famille on va manger au cimetière. Je sais même pas d'où ça vient cette coutume. Des anciens. Mais je ne connais pas bien les détails des origines de cette fête. La première fois que j'ai fait ça j'étais petite et quand on me l'a annoncé j'ai pris peur. Je trouvais que ça faisait trop Famille Adams, (rires). Cette année j'y ai participé de nouveau c'était super.

Alors voilà, la coutume c'est que toutes les femmes de la famille préparent un couscous et qu'on le mange tous ensemble dans le cimetière sur la tombe des ancêtres. Les enfants sont présents et ils doivent manger dans toutes les gamelles. Chez nous le couscous, c'est vraiment le plat du partage. Ma mère en fait souvent pour la communauté, pour la mosquée à Sevran par exemple, on appelle ça faire une sadaka, une aumône spontanée. Mais ce moment dans le cimetière, c'est vraiment spécial. On a l'impression de garder le lien avec tous ceux qui étaient là avant nous. C'est fort."






Je trouve fascinant cette coutume qui consiste à aller manger chez les morts, à partager un repas à leurs côtés et en même temps de faire du cimetière non pas un lieu de mort mais un lieu de vie, un salon dans lequel on s'assoit un moment avant de reprendre ses activités.

Quand Ahlem m'a envoyé les photos de cet humble cimetière de quartier, que j'ai vu le naturel avec lequel la famille avait pris place sur les tombes tracées à même le sol, j'ai pensé à la Géorgie, une terre où les gens visitent aussi leurs morts, passent du temps sur les tombes qui sont elles travaillées et décorées avec soin, comme des maisons de campagne avec tout le confort pour l'éternité.


"La Nuit du Destin, c'est vraiment un moment particulier, mais d'une manière générale, quand je suis au bled, je tâche d'aller au cimetière tous les jeudis. Le jeudi c'est le jour où les morts sont là... présents... ils regardent un peu qui vient leur rendre visite." me dit Ahlem avec naturel. Apparemment il y a d'autres règles là-bas à Zarzis, un autre temps plus poreux, un peu magique, où les morts et les esprits partagent avec les vivants.


Quant aux moments rituels liés à la nourriture, ils n'en finissent pas de m'intriguer, car là aussi ce sont des moments en rupture avec le temps profane, le temps matériel et matérialiste de nos quotidiens contemporains. D'une certaine manière ils représentent des bulles un peu régressives où l'on revient sur les origines et les symboles de ce que nos aïeux mangeaient avant nous...Et en même temps je trouve fascinant de voir comment les traditions s'adaptent aux lieux et aux époques. L'année prochaine j'espère qu'Ahlem m'emmènera acheter du Thiep et des Nems au poulet au marché de Sevran avant de les déguster ensemble à la tombée du jour.


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