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Sucreries chinoises: tradition, modernité, hybridité

LES 90'S OU LE GRAND N'IMPORTE QUOI

A la fin des années 90, j'habitais à Beijing et j'étais perplexe devant les pâtisseries qu'on y trouvait à l'époque.

Je ne parle pas tant des pâtisseries traditionnelles pékinoises, ces redoutables petits galets tellement beaux à regarder avec leurs inscriptions quasi talismaniques inscrites dans la pâte mais si peu raffinés en bouche et étouffe chrétien (je pense à ces galettes hyper lourdes fourrées à la date ou à la pâte de haricots rouges ou verts qu'on servait dans les maisons de thé d'autrefois, ou pire encore les gâteaux de lune remplis de jaunes d'oeufs durs), que des tentatives de pâtisseries occidentales qui sévissaient à l'époque.




On appelait Xibingwu 西饼屋"Boutique de tartes de l'Ouest" les lieux qui se revendiquaient comme étant des pâtisseries à l'occidentale. On y trouvait des spécialités complètement hérétiques (si l'on prend les normes de la pâtisserie française comme référence) : pains sucrés fourrés au porc, brioches fourrées à la saucisse (pas artisanale), génoises spongieuses blindées de mauvaise crème, croissants à la margarine qui séchaient en deux heures, sans oublier des gâteaux d'anniversaire dignes d'entreprises en BTP, le tout réalisé avec les produits industriels acquis dans les réseaux du nouveau commerce mondial ...

Quand j'y repense, ces pâtisseries sont très représentatives de l'ère de Boom économique des 90's où la Chine absorbait avec avidité tout ce qui venait de l'extérieur en faisant fi du bon ou du mauvais goût. Il y a d'ailleurs selon moi une analogie directe entre le kitsch des gâteaux et des tenues vestimentaires de l'époque. Tout était "too much", farfelu, sur-sur-surfait, baroque, tappe à l'oeil. Je vois dans la surenchère de crème, de sucre, de dentelle, de rayonne et de froufrous en vogue dans ces années une hyper compensation après des années de vache maigre et d'uniformité radicale.

EMANCIPATION ALIMENTAIRE ET VESTIMENTAIRE

Ci dessous je me suis permise de faire une petite mosaïque d'images pour illustrer mon point de vue avec l'aimable autorisation de Thomas Sauvin qui m'a laissé traîner dans son immense archive Beijing Silvermine, qui est de loin le meilleur outil visuel et pédagogique pour comprendre la société chinoise des 90's.

Qui ne voit pas de relation entre les jabots des chemises et la crème fouettée, les fruits confits et les motifs imprimés, la débauche de fleurs à pétales et les cheveux permanentés est de mauvaise foi!!

Thomas Sauvin: Beijing Silvermine (Copyright © Beijing Silvermine)



Si je trouvais amusant de regarder et de goûter ces pâtisseries hybrides, j'ai vite compris que je ne trouverai pas les meilleurs petits déjeuners dans ces pseudo pâtisseries mais dans les gargotes à nouilles et à baozi qu'on trouvait le matin sur les trottoirs.

De fait, lors de mes premières années en Chine, j'ai plus ou moins dit adieu au sucre, préférant les galettes aux oignons et les bouillons clairs aux ersatz de viennoiseries, trop frustrants.


Les chinois n'ont pas le bec sucré?

Il faut dire que la Chine n'a traditionnellement pas "le bec sucré", certainement pas comme en France en tout cas où le sucre est consommé comme un aliment à part entière à grand renfort de mise en scène depuis plusieurs siècles. Cette consommation est bien sûr liée à l'histoire (amère) de la culture de la canne à sucre et par extension à celle de la colonisation, puis à la culture de la betterave encouragée par Napoléon au début du 19ème siècle.


En Chine, néanmoins, il y a de la canne à sucre (je me souviens des pauses lors de longs voyages en bus dans le Sud du pays où l'on achetait des mètres entiers de canne à sucre qu'on mâchait pour en extraire le jus, délicieux!) et le sucré est une saveur que l'on trouve dans les plats: sauces, marinades etc... mais le principe de la sucrerie systématique en fin de repas n'existe tout simplement pas dans le système d'équilibre des saveurs et des aliments du repas chinois.

CANTON HONG KONG ET LA DIETÉTIQUE YIN YANG

A part peut être dans la cuisine cantonaise (et par extension Hong Kongaise) où l'on trouve de loin le plus d'éléments sucrés: des soupes aux dates, aux fleurs, des gelées d'herbe, des préparations à base de tofu ou de riz sucré, sans oublier les fameux desserts à base de mangue. Mais dans tous les cas ces douceurs s'inscrivent davantage dans le registre de la diététique Yin-Yang que celle de la gourmandise en tant que pêché capital. Exemple: la soupe au sésame noir réchauffe le corps, le thé aux amandes est bon pour la peau et prévient les crises d'asthme.


C'est donc en se penchant sur la région de Canton et son extension britannique que fut Hong Kong (de 1842 à 1997) et aussi sur l'île de Taiwan où convergent les influences indigène, hakka et japonaise que l'on peut saisir les origines de la culture sucrée qui s'est installée dans la Chine continentale consumériste et qui déferle aujourd'hui à Paris qui est mon poste d'observation actuel.


PARIS, NOUVEAU FIEF DES CUISINES CHINOISES

Il n'y a pas que des scénarios catastrophe dans la mondialisation. Le renouveau de la cuisine chinoise à Paris en est un bon exemple. Après les premières migrations en provenance du Zhejiang (Sud de Shanghai) et du Dongbei (Nord Est), une nouvelle génération de chinois est arrivée dans la capitale dans les années 2000, des étudiants notamment, plus éduqués et plus aisés que les ouvriers et les grossistes de fringues en polyester des années 90.

Par nécessité et par plaisir également, ils ont ramenés dans leur valise les spécialités de leur province, sonnant ainsi le glas de la cuisine cantonaise générique et affadie pour soi-disant mieux convenir aux sensibles palais français.

Aujourd'hui je pense qu'on peut affirmer que Paris est la capitale européenne où l'on trouve le plus de cuisines (au pluriel) chinoises authentiques. Quand je suis rentrée de Chine en 2015 on était en plein boom. De nouvelles gargotes dédiées à des spécialités spécifiques comme les Dan-Dan Mian 担担面 bien piquantes, les biangbiang mian kilométriques, les roujiamo 肉夹馍(petits pains fourrés à la poitrine de porc braisée) et autres fondues sichuanaises 火锅 ouvraient régulièrement. Sans oublier les Baozi 包子 (petits pains de farine de riz cuits à la vapeur) qui pleuvent aujourd'hui sur la ville comme les hamburgers du livre de notre enfance.


Côté sucré, les choses ont pris un tout petit peu plus de temps.

D'abord il y a eu la déferlante Bubble Tea 珍珠奶茶, peu de temps avant le Covid. Cette boisson XL qui offre à boire et à manger (les fameuses bubbles de tapioca) a vu le jour dans les années 80 à Taiwan, île tropicale où l'on grignote en permanence, où le snack est une culture et où il convient aussi de se rafraichir et de s'hydrater pour parer à l'humidité et à la chaleur. C'est via les kids de la diaspora chinoise qu'il est apparu en France puis, il a rapidement séduit les autres kids, les asia-manga-kawaii-philes.

Ensuite, il s'est passé le scénario Poke Bowl...peu reluisant... C'est à dire un phénomène de prolifération intempestive de petites échoppes phagocytant le tissu urbain accompagné de produits de moyenne voire bas de gamme, à savoir des Bubble Tea blindés de sucres et d'additifs...


L'AUTHENTIQUE, LE KITSCH ET L'ENTRE DEUX

Mais il y a aussi eu de téméraires jeunes chinois qui ont osé le pari du salon de thé- pâtisserie chinois, véritables laboratoires de déconstruction du dessert français, héhé!

T-XUAN

L'un des premiers c'est T-Xuan 糖轩, rue Lafayette, ouvert en 2015. Une adresse où l'on sent que les fondateurs ont voulu recréer une ambiance, celle des pavillons de thé comme il y en a dans les parcs et jardins en Chine. Jolis meubles en bois, lampes en tissu, musique plutôt raffinée, rien à voir avec les ambiances de fast food que l'on trouve chez bien d'autres. Dès ses débuts T-Xuan a osé proposer les soupes froides sucrée et les gelées d'herbe comme on en trouve à Hong Kong et dans le sud de la Chine, ce qui était assez avant gardiste dans un Paris qui ne jurait que par les macarons. Et, pour rassurer les becs sucrés français, ils proposent également des mille feuilles de crêpes et autres petits coussins de pancake fourrés de crème légère aux fruits. Chez T Xuan, point de pâte sablée ni feuilletée, les douceurs servies ne s'encombrent pas de corsage à base de farine. Les mille feuilles tiennent par la force de l'empilement quant au reste, perles de tapioca, glace pillée et autre entremets glissants, ils ne tiennent sur rien du tout, c'est bien cela leur spécificité, ils sont servis dans des bols et c'est bien leur fluidité que l'on déguste.


LONGTEE & LES AUTRES

A quelques numéros, un peu plus bas dans la rue Lafayette se trouve un autre salon de thé chinois, Long& Tee, lui même situé non loin du restaurant Sichuanais Sucrépice, lui même proche de Herb Tea et de Miam Miam Cool, autant d'adresses chinoises qui prouvent que les commerces de bouche chinois se sont largement émancipés des Chinatowns historiques.

En effet on trouve de nombreux resto et salons de thés entre la Chaussée d'Antin et les Folies Bergères. Cela est dû à la proximité avec les Galeries Lafayette bien-sûr, que les touristes chinois de l'ère pré Covid visitaient sans doute avant même la Tour Eiffel. C'est notamment pour répondre à cette clientèle dépensière que toutes sortes de spécialités sucrées sont apparues sur les cartes, du plus authentique, au plus farfelu.

Dans ce dernier registre, Long & Tee, fondé en 2019, (soit pile poil pendant l'acqua alta du tourisme chinois pré-Covid) y va fort: gâteaux à la crème en forme de nounours ou de chien endormi dont le pelage est rendu en copeaux de chocolat, gâteaux de mille crêpes fourrés à tout ce que vous voulez, mais ça, ce n'est rien encore comparé aux gâteaux d'anniversaire qui sont la GRANDE spécialité.

Là , je peux vous dire que les constructions multicolores surmontées de figures en plastique de chez Gâteau Doré Fiesta de la rue du Faubourg du Temple, (une des premières pâtisseries chinoises où il y a autant de chinois que d'africains qui font la queue pour chopper un gâteau pour les anniversaires ou l'Aid El Kebir) font office de petits Algeco du Tiers Monde comparé aux créations de Long &Tee.

Si on doit faire un parallèle entre pâtisserie et architecture alors chez eux on est plutôt dans le registre des Emirats Arabes Unis.

Jettez un oeil aux compositions ci-dessous et vous verrez que la pâtisserie de "grandes occasions" de chez Long Tee contient les fantasmes consuméristes les plus kitsch de notre époque. Cela ne retire en rien la part de génie de ces artisans bâtisseurs. Disons juste qu'ils n'ont pas pris le parti de la sobriété.





Dans le quartier d'Arts et Métiers, quartier historiquement chinois depuis la seconde guerre mondiale, les choses bougent aussi, à l'image des mouvements de la communauté. Ainsi , des échoppes sucrées ont ouvert leur porte depuis quelque temps, tenues par des Wenzhou bien-sûr puisque le hood leur appartient.

SHODAI MATCHA

Il y a notamment un spot qui s'appelle Shodai Matcha. Nom japonais d'ailleurs. Mais les asiaphiles ne s'y tromperont pas . Il n'y a pas l'ombre d'un japonais dans l'équipe de ce salon de thé qui décline le thé vert sous toutes ses formes gourmandes. Toute l'équipe est Wenzhounaise et la carte des desserts est un véritable annuaire:

Matcha royal traditionnel avec sucre, Yuzu Matcha pétillant, Matcha latté avec purée de taro et perles de tapiocas, Matcha latté frappé

et gelée de coco, Chiffon Cake au Matcha Sundae etc...


et même une Fondue aux 8 trésors pour 2 personnes à base de soupe au choix Matcha / Thé noir au lait / lait de coco servi dans un caquelon ornementé: Et pas n'importe quel caquelon puisqu'il s'agit de celui dans lequel on prépare traditionnellement la fondue mongole à base de viande de mouton...

Que dire?

On peut être conservateur et dire: ah! non! Et pourquoi pas servir une île flottante dans un Babyliss pour bains de pieds!!??? Ou on peut se dire: Et pourquoi pas?



Puisqu'il faut conclure cet article qui déjà est un peu trop long, je rassemble un peu mes idées ci-dessous:

  • La culture / consommation du sucre en Chine n'est pas très ancienne et vient plutôt de la Chine du Sud (région de Canton), de Hong Kong et de Taiwan, régions géographiquement tournées vers la mer et l'extérieur.

  • Dans les années 90, aussi connues comme les "Fat Years" en Chine, le sucre, le gras, l'abondance ont explosé avec l'entrée du pays dans l'économie mondiale.

  • Au gré des vagues d'émigration, ces nouvelles tendances ont fait leur chemin vers l'ouest. L'émergence de la street food dans les années 2000 a fait la part belle aux cuisines régionales chinoises.

  • 2003 premiers Bubble Tea à Paris chez ZenZoo, suivis d'une déferlante depuis environ 2015

  • Explosion des sucreries chinoises qui n'ont à vrai dire rien de bien traditionnel, là n'est pas vraiment la question. Ce que je note c'est l'extrême rapidité avec laquelle des nouveautés culinaires, à peine sorties de leur niche ethnico-culturelle sont diffusées via les réseaux, reprises et réadaptées par les communautés connexes ou extérieures pour convenir à des cibles spécifiques de consommateurs: Ainsi on trouve des Bao burger Hallal servis avec des frites chez Gomu rue du faubourg du temple par exemple et à Belleville, les salons de thé proposent un peu tout et n'importe quoi, du corndog en passant par le takoyaki et la gelée d'herbes aux haricots rouges.

  • A vous de jouer maintenant pour trouver votre plaisir dans une offre devenue parfois un peu trop pléthorique.

























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