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  • Photo du rédacteurleo22062

Voyage au pays des oeufs géants et des brioches


Cette année, je suis allée en Bulgarie au moment des fêtes de la Pâques Orthodoxe (Velikden), grand moment liturgique et aussi période de vacances dans les contrées balkaniques.

Cela fait plusieurs années que j'ai l'idée de suivre le calendrier religieux du monde pour voyager plutôt que celui des discounts des compagnies aériennes. C'est mon côté crypto mystique. Je ne suis pas religieuse, même pas baptisée et pourtant le fait religieux me taraude depuis petite. Je me dis souvent que si j'avais vécu à une autre époque ou même, si j'étais née en Inde, j'aurais été une croyante fervente. Au lieu de cela je doute de tout et je fais du Yoga, alors en Avril, au lieu de me fondre dans les manifs contre la loi retraite je suis allée célébrer la résurrection du Christ et le retour du printemps en Bulgarie chez mon amie Mariya à Velingrad.



CHAPITRE 1: LES ŒUFS


Mariya est graphiste et designer et vit à Sofia, mais elle reste très liée à sa ville natale et à sa famille.

Vélingrad est située dans la chaîne des Rhodopes occidentales mais n'est qu'à une petite heure et demie de la capitale, alors régulièrement, une à deux fois par mois, elle retourne à la maison.Quant à Pâques, elle n'a jamais, strictement jamais, manqué cette célébration familiale et religieuse, sans pour autant être ultra orthodoxe ni traditionaliste.


"Pâques est un moment important en Bulgarie. Les gens qui ont émigré reviennent pour passer du temps en famille et ceux qui vivent en ville, comme moi, reviennent dans leur campagne pour passer du temps avec les anciens. Quand j'étais petite il y avait des dizaines d'oncles, tantes, cousins, cousines qui venaient chez nous. Maintenant nous sommes moins nombreux; il y a eu des décès, mais pour moi c'est inconcevable de ne pas rentrer à la maison à ce moment là pour voir ma mère, mon frère et ma grand-mère."


A la veille de Pâques Mariya vient donc me cueillir à l'aéroport de Sofia et nous filons directement à Velingrad. Nous traversons d'abord des paysages de plaines puis attaquons la montée douce vers les monts verdoyants des Rhodopes. La nature est magnifique comme souvent en Bulgarie. L'abord de la ville est moins charmant, les publicités pour les établissements thermaux dont la ville est si fière, pas très engageants. Nous allons directement à la maison familiale où nous attend la mère de Mariya.


La bâtisse, comme la plupart des maisons du coin s'élève sur trois étages et d'ailleurs, il n'est pas rare que trois générations habitent sous un même toit, grand parents, parents, petits enfants. Sur le seuil de la maison, il y a deux portraits imprimés, celui du grand père et du père de Mariya décédés il y a un peu moins de deux ans. Il y a aussi de petites couronnes de branches accrochées aux barreaux des fenêtres. Ce sont les couronnes des Rameaux, dernière fête avant Pâques, célébrée le sixième dimanche du Carême.

Ici donc, on n'oublie ni les morts dont l'image accompagne longtemps les vivants que ce soit dans l'intimité des maisons ou sur des tableaux d'affichage dans l'espace public, ni les coutumes et tous les petits gestes qui les accompagnent.



Velli, Vela, Velingrad

La mère de Mariya nous accueille avec un grand sourire. Elle s'appelle Velitchka mais tout le monde l'appelle Villi. Elle est toute petite, comme Mariya mais elle déborde d'énergie et c'est une cuisinière hors pair. En plus, elle chante dans le choeur de l'église, résultat les jours qui précèdent Pâques, elle court partout, du marché à la cuisine et à l'église du quartier où elle chante jusque tard dans la nuit. En bonne chrétienne, elle a fait Carême. En Bulgarie cela se fait encore, on se détoxifie avant l'arrivée des beaux jours.


Velli est ravie de voir sa fille qu'elle sert fort dans ses bras et pas mécontente aussi je crois, d'avoir une invitée française pour quelques jours. Alors que nous posons nos balluchons on fait aussi monter la grand mère, qui loge maintenant au rez de chaussée, côté potager où , en cette saison, poussent de belles salades et bientôt de ces tomates bien sucrées et de ces concombres ultra rafraîchissants qu'on déguste tout au long de l'été rehaussé de fromage Kachkaval râpé.

La grand mère de Mariya s'appelle Mariya aussi. Du haut de ses 90 ans, elle a vu passer plein de choses sans pourtant sortir de la ville. Il faut dire que Velingrad a une histoire assez singulière.



C'est une ville thermale, pleine de sources chaudes qui fument au coin des rues et des trottoirs cabossés. Rien à voir avec Vichy ou Bath. Les établissements de bain sont plutôt vétustes et les pseudo grands hôtels dont l'office de tourisme fait la réclame ressemblent à des chalets en faux bois...


Pour revenir à l'histoire de la ville: à l'origine il s'agissait de trois villages situés côte à côte le long de la rivière Čepino, (Čepinska reka). On les a réunis sous un même nom en hommage à Vela Peeva née en 1922, résistante anti fasciste exécutée par l'armée en 1944 de la plus atroce façon: elle a été décapitée et sa tête plantée sur un pic!

Si je mentionne Vela, c'est que sa légende imprègne encore fortement les lieux et les mémoires à Velingrad. D'ailleurs la grand mère de Mariya a rencontré la résistante quand elle était toute enfant. Vella, qui travaillait à l'épicerie familiale, lui a donné des sucreries à partager avec ses camarades.

C'est assez fou, quand on y pense, d'entendre ce genre d'anecdotes: la jeune fille qui vous a autrefois donné une friandise fait en fait partie de la grande Histoire, celle de la nation, une histoire qui se rejoue en permanence depuis la fin de l'empire ottoman, des guerres successives, de la chute du Bloc Communiste et de l'entrée dans l'UE... de fait, la Bulgarie est pleine de héros et d'héroïnes largement statufiés à travers le pays. On les trouve partout le long des routes et dans les villages semi déserts. En cette période de Pâques, les vieux héros paraissent bien gris à côté des installations d'oeufs géants méga flashy fraîchement installées dans chaque agglomération.


Dans le modeste musée d'histoire de la ville il y a des photos de Vela et une icône peinte où elle ressemble à un hybride entre Jeanne d'Arc et Saint Georges. Il y a aussi un buste en bronze la représentant non pas posé sur un socle mais fixé à même le mur qui scrute les visiteurs, peu nombreux, de derrière ses grosses lunettes.


Des œufs partout !!

Une autre salle du musée est dédiée aux œufs décorés dont le musée s'enorgueillit de détenir la plus grande collection du pays, d'ailleurs il y a (aussi) un œuf géant sur la pelouse devant le bâtiment, aussi grand que Mariya! Si la salle aux œufs est, comme le reste du musée, délavée et sinistre, les décorations tracées sur les corps arrondis sont magnifiques.

L’œuf de Pâques typique est rouge, symbole du renouveau et du soleil du printemps avec des ornements blancs sur toute sa surface faits à la cire à l’aide d'un stylet mais les vitrines poussiéreuses contiennent de nombreuses variations, de couleurs et de motifs.

En Bulgarie, l’œuf est donc décoré comme un objet précieux mais en revanche point de chocolat, encore moins de lapin de Pâques. Ici on reste fidèle à la vieille tradition selon laquelle on mange les œufs qui ont été pondus pendant la période de Carême.

Le premier œuf peint en rouge vif doit avoir été pondu le jeudi saint, et est conservé comme porte bonheur.


Au dessus des vitrines, un portrait en noir et blanc d'une jeune femme brune au regard brûlant qui fait penser à Frida Kahlo interpelle le visiteur. Il s'agit de Mariya Maltchéva, illustre peintre d’œufs locale. Si peindre des œufs peut paraître inoffensif il faut savoir que dans les années 50 en Bulgarie ce n'était pas si simple, le pouvoir communiste ne tolérant pas les fêtes religieuses et leurs émanations, c'était même carrément risqué. Mais cela n'a pas empêché Maltchéva de produire une véritable encyclopédie visuelle de tous les motifs créés par les femmes depuis des générations.



Pâques, c'est aussi le moment pour les vieilles dames de briller en société. Durant les jours qui précèdent le dimanche de Pâques, elles sortent leur petit nécessaire de cire et de peinture, allument une bougie et déploient leur talent à la table du salon ou mieux, sur la place du village où se tiennent chaque année des ateliers, dans une ambiance de fête foraine hyper sonorisée. Le samedi, à Vélingrad, des groupes folkloriques se sont succédés toute la matinée, présentés par une speakerine incroyable juchée sur 12 centimètres de talons, tandis que les enfants s'appliquaient à dessiner leurs œufs sous des tentes.


Chez Velli, J'ai eu la chance de rencontrer Baba Katé, une nonagénaire énergique, digne héritière de cette tradition picturale. Elle nous a raconté toutes ses techniques de teinture naturelle, avec les plantes locales et aussi des pelures d'oignons.



Dans la nuit du samedi au dimanche, on va à l'église. A minuit commence le service de Pâques, l'église plongée dans l'obscurité s'illumine peu à peu à mesure que les fidèles allument des bougies, tandis que le prête lit le récit de la résurrection: un long prêche emphatique et mélodieux repris à l'unisson par les autres prêtres qui assurent le service avec lui. Ensuite tout le monde sort pour faire le tour de l'église.

Il y a plein de jeunes, c'est complètement irréel pour quelqu'un qui vient de France de voir des ados en baskets avec une petite bougie dans les mains et qui se saluent par les mots «Christos voskrese» («Christ est ressuscité!»), tandis que les autres répondent «Vo istina voskrese» («Vraiment ressuscité!»). Ici, l'Église est encore un lieu de sociabilité.

Quant au Pope, il ressemble à une star de heavy metal avec sa grande barbe.



Le lendemain, rebellotte, on va chez les uns et les autres et on frappe son oeuf sur celui du voisin en disant (encore) "Christ est ressuscité" et l'autre doit répondre (encore) : "Il est vraiment ressuscité".

Au final, on frappe un oeuf à chaque visite de proche et d'amis, résultat ça en fait des oeufs durs à manger après la privation de Carême! De quoi faire une overdose de protéines!












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